Un cauchemar… ?
Cela devait bien faire deux semaines que Sledge se sentait plus fatigué qu’à l’accoutumée. Certains « matins », une sensation d’extrême fatigue dominait, un peu comme s’il n’avait pas dormi du tout.
L’ork avait pourtant l’habitude des virées nocturnes et des soirées arrosées aux alcools de contrebande. Serait-ce l’âge qui commencerait à faire effet ? Il parait que les orks s’abîment plus vite que les autres. C’est peut-être le printemps dans cette ville déglinguée qui alterne entre pluies torrentielles et soleil pâle. Il parait que cela met pas mal d’humidité dans l’underground.
Mais ce matin-là, au réveil, les rayons du soleil tombaient dans ses yeux et le gênaient. Sledge se trouvait non seulement à la surface mais en plus dans un lieu qu’il ne reconnaissait pas. Un rapide diagnostique lui confirma que tout son ‘ware était en place et fonctionnel. Il se redressait et s’asseyait. Au moment de venir se frotter les yeux, toujours pas habitués à la clarté matinale de la surface, il s’arrêta soudain en voyant les avant-bras chromés maculés de sang, ses avant-bras. Après un instant qui parut une éternité, il vérifia ce qu’il lui restait de chair. Pas de blessures ou d’incisions au ventre ou dans le dos. Pareil pour le crâne. Il finit par se lever, tout avait l’air d’aller.
« Mais d’où vient ce sang ? »
Sa vision de la situation se faisait plus nette. Il était dans un squat. Une vérification rapide sur son commlink le situait dans Puyallup, pas loin du territoire des Ancients. Faisant le tour de la pièce, il trouvait quelques loques et une bassine qui récupérait l’eau fuyant du plafond sale et en profita pour essuyer le plus gros du sang. Ce serait suffisant pour sortir et regagner l’underground.
Mais qu’avait-il bien pu se passer cette nuit ? Alors que l’ork roulait vers une entrée de l’underground qu’il savait ne pas être trop surveillée, il tentait de se repasser le film de la nuit précédente. Il était parti faire une partie de cartes au Jamm’s. C’était presque devenu une habitude étant donné que les lundi soirs sont plutôt calmes dans sa branche. Il se souvenait des quelques verres puis d’être parti. Soudain, un détail bizarre lui revint. Juste en partant, un des autres joueurs lui avait dit : « Fais gaffe, il parait que c’est la nouvelle lune. On dit qu’il s’y passe des trucs plus bizarre encore que quand elle est pleine. » Il avait trouvé ça marrant que quelqu’un s’inquiète de la phase de la lune quand on vit en sous-sol. Ce qui l’agaçait à présent, c’était que c’était son dernier souvenir avant de se réveiller ce matin ; et il était persuadé de ne pas avoir tant bu que cela.
Décidément, ce mois de juin commençait bizarrement. Mais au fait, à qui, ou à quoi, appartenait ce sang ?
Un fois de retour dans sa planque, Sledge termina de nettoyer le sang de ses bras chromés tout en profitant d’une douche bienvenue. Des habits propres enfilés, les idées plus claires, il cherchait de nouveau dans sa mémoire, sans succès. Un nutrisoy épicé aiderait certainement. Le plat préparé presque terminé, l’ork eu une idée. Sa mémoire lui faisait peut-être défaut mais celle de son ‘link devrait être meilleure. Il vérifia son historique GPS et découvrit qu’il avait été très occupé après avoir quitté le bar. Une destination sortait du lot, il semblait qu’il soit allé dans un endroit peu fréquentable de Glow City, ce qui ne rassure pas quand on voit les standards du quartier. C’était la dernière destination avant qu’il ne fila au squat de Puyallup où il avait émergé quelques heures plus tôt. Il lança une rapide vérification des flux d’informations, après avoir compulsé quelques mégapulses, il ne trouvait rien sortant du lot s’étant passé dans Glow City. Mais, de toute manière, qui se souciait encore que ce qu’il se passait là-bas ?
Sledge s’approchait du point GPS, l’endroit lui paraissait parfaitement inconnu. Un vieil entrepôt se tenait encore à peu près debout devant lui. Il décidait d’y pénétrer, le plus discrètement possible. Ses instincts reprenaient le dessus. Il se sentait mieux, plus lui-même, quand il était au cœur de l’action. La tension accumulée depuis le réveil laissait place à une clarté bienvenue. Être le chasseur, se mouvoir sans un bruit, s’approcher de sa proie, tout paraissait plus facile. Mais la proie n’en était plus une. La forme humanoïde était avachie dans ce qui semblait être un refuge, un nid constitué de bric et de broc et d’autres éléments récupérés. Mais surtout, elle ne bougeait plus, plus aucun bruit n’en émanait, ne serait-ce que celui de la respiration. Abandonnant son approche feutrée, Sledge se dirigea vers ce qui semblait avoir été un decker. En tout cas, la chose fichée dans le crâne de la forme inanimée semblait bien être un deck. Après avoir récupéré l’appareil, le constat restait le même. Il n’était plus possible d’identifier cette personne, son visage et sa dentition avaient été broyés, à priori pas uniquement par le deck. De toute manière, il semblait peu probable que celui-ci eut un SIN un jour. Il n’arborait pas non plus de tatouage ni les couleurs d’un gang. Qui était donc cet homme d’âge moyen à la peau hâlée ? Il allait falloir demander quelques services pour en savoir plus.
Après avoir nettoyé le plus gros du sang séché et de la cervelle bloquée entre les parties déformées du châssis de l’appareil, Sledge contacta Gentry pour en appeler à son expertise. Après le dégoût apparent de l’ « elfe » face à l’état de l’appareil, il le prit et commença à le démonter pour en extirper les cellules de données et lança un programme de récupération. Cela allait prendre quelques temps. Ce temps qui semblait s’étirer. L’ork n’aimait pas ces moments d’attente, il préférait l’action et la clarté que cela lui apportait. Tourner en rond ainsi n’apportait jamais rien ; en tout cas, jamais rien de bon. Le garage de Hardpoint était comme à son habitude mais, ce jour-là, lui semblait plus exigu, il commençait à tourner tel un animal en cage. Le nain quittait la cahute qui se trouvait dans le coin du garage avec un plateau. « Un thé fera du bien à tout le monde. », dit-il. Et il commença à servir tout le monde sans même attendre leur approbation. Les manières extrêmement précises et posées lorsqu’il s’agissait de verser le thé avaient le don d’énerver l’ork. Ce jour-là, cela l’exaspérait. Il avait l’impression que le nain faisait tout plus lentement que d’habitude.
Le thé terminé, Gentry avait réuni des bribes d’informations de ce qui restait du deck. Son ancien propriétaire faisait partie d’un groupe de hackers obscurs qui, semblait-il, chassaient les IA. Les logs permettaient d’en retracer les dernières secondes de fonctionnement. Le firewall de l’appareil avait été mis à mal par des attaques matricielles précises et violentes. Un message avait été envoyé juste avant un attaque ayant éjecté le decker de la matrice.
« Tu ne peux m’échapper. Une fois détruit dans ce monde, mon appareil te brisera dans celui de la chair. – E.D.G.E. »
Que s’était-il passé cette nuit de nouvelle lune ?
Geoffrey « Enkidou » Delmée
Toute ressemblance avec une partie de jeu de rôle ne serait que fortuite…