The Kechibi Code – Bonne surprise ou opportunité manquée ?

Commençons par le début : de quoi parle The Kechibi Code ? D’un nouvel algorithme de manipulation des stocks boursiers, aussi puissant que mystérieux, à l’origine inconnue. Comme il se doit dans un univers cyberpunk et dystopien comme celui de Shadowrun, cette fabuleuse ressource devient rapidement un enjeu pour pratiquement toutes les factions possibles et imaginables, des inévitables mégacorporations aux syndicats du crime en passant par des organisations plus obscures, telles que des cellules éco-terroristes. 

Avec ce prétexte élégant, le supplément évoque différents lieux affectés par cette intrigue (l’Écosse, Hong Kong, Lagos, Saint Louis), mais aussi de nombreux groupes en tout genre. Excellente idée de ce supplément : une approche orientée “jouable”. On y trouve donc, avec un soulagement et un plaisir certain, des sections informations de jeux, qui décryptent les évènements pour le meneur et fournissent des éléments techniques et de nombreux profils de personnages clés à l’histoire.

Voilà pour le contenu, mais que penser de l’ouvrage ? Pour reprendre le titre du film de The Good, The Bad and The Ugly, voilà comment déchiffrer un peu ce supplément :

  • Le Bon : l’intrigue, sans être la plus originale du monde, est intéressante, source de conflits faciles à utiliser et riche pour le jeu. Un réel effort a été fait pour rendre l’habituel charabia d’un supplément d’univers de Shadowrun facile à transformer en aventures en tout genre.
    Le récit continue de faire vivre le monde de SR6 et fait donc suite à Noir Total et Réalité à la dérive, offrant une réponse résolument matricielle à ce dernier, lui très orienté magie. Bref, de ce point de vue, que du bon.
  • Le moins bon : l’éternel manque éditorial de CGL frappe à nouveau, sans surprise, mais là il abat sa propre monture, d’un coup sec, alors que celle-ci était en tête de course. Quelques exemples :
    • Le chapitre sur l’Écosse tient plus de la nouvelle que de l’aide de jeu et ne donne pas la moitié du début des éléments nécessaires pour faire jouer si ce n’est qu’un scénario à Edinburgh. Si ce texte est de lecture agréable, il aurait fallu demander à son auteur de le retailler, pour diminuer la part de novélisation et augmenter la description et les informations sur la localité.
    • Celui sur Lagos pêche presque de l’excès inverse : là, heureusement pour une fois, une partie nouvelle, réduite au minimum, accompagne une pléthore d’informations de jeu sur des factions et des personnages. Mais celle-ci se fait à nouveau aux dépens de la description de Lagos. Et cette jungle de personnages aurait dû être un peu dégrossie, pour en retirer le gras et le superflu et utiliser les signes ainsi récupérés pour peaufiner le cœur de la proposition. Cela dit, ce chapitre reste le plus complet et utilisable de The Kechibi Code et forme (à mon sens) un bon exemple de comment organiser l’univers de manière jouable dans Shadowrun.
    • Le chapitre sur Hong Kong reprend la recette de Lagos, s’éparpillant un peu moins, mais étant très confus (et répétitif) sur sa proposition. La présentation de la ville est un brin plus complète, mais, comme Lagos, elle n’est pas suffisante et surtout elle manque de donner une réelle saveur à la localité, ce qui aurait garanti aux joueurs un véritable dépaysement.
    • Si ces trois chapitres étaient, en essence, de la mise à jour, celui sur Saint-Louis avait la chance de pouvoir apporter du « neuf ». La description de la ville, qui a pris une soudaine importance avec son indépendance, était en effet très attendue. Et là encore, malheureusement, le chapitre laisse sur sa faim. L’auteur insiste beaucoup (trop) sur la zone de Barrens créée par le Blackout évoqué dans Noir Total – entre Détroit, Chicago et les Barrens de Seattle, ce n’est pas comme si on en manquait. Celui-ci a comme seule originalité d’être au centre de la ville et de détenir quelques richesses abandonnées par les corpos (ce qui rappelle trop le Chicago de Bug City). Au-delà de ces quelques éléments et un peu de politique, il n’y a au final pratiquement aucune information à donner à des runners visitant la cité-nation pour leur donner une réelle sensation de dépaysement.
  • The Ugly : de mon point de vue, The Kechibi Code avait la bonne approche et une proposition parfaitement adaptée aux défis d’un tel supplément pour Shadowrun. Bref, le plus dur était fait, il ne restait plus qu’à s’assurer que ce squelette soit proprement étoffé par les auteurs… et c’est là que, comme d’habitude malheureusement, la machine s’est grippée. C’est particulièrement frustrant ici, car l’ossature proposée était, à mon sens, une excellente réponse à la difficulté à laquelle est confronté tout supplément de Shadowrun.

Prenons un peu de recul et étudions le cadre compliqué de la conception d’un supplément de Shadowrun, afin de mieux comprendre ce que j’entends par la partie “The Ugly” de cette critique.

Avec six éditions, sans compter Anarchy, et un univers qui n’a jamais cessé d’aller de l’avant, évitant avec intelligence l’écueil des “reboots” qui condamnent les acheteurs à explorer, en boucle, un monde figé et étroit, Shadowrun doit faire fasse à un défi constant : proposer des suppléments sur un univers qui invite les nouveaux joueurs à explorer sa richesse tout en apportant du neuf aux fans des premières heures. Il s’agit donc de continuellement mettre à jour l’univers, revisiter ses recoins oubliés depuis quelques temps pour indiquer comment ceux-ci ont évolué depuis la dernière fois qu’ils ont été sous les projecteurs. Cependant, il faut également fournir assez d’éléments afin de donner un cadre jouable et exploitable, sans rendre nécessaire à la table d’exhumer une demi-douzaine de suppléments issus des précédentes éditions. Inutile de le dire, c’est un exercice de funambulisme difficile. Et c’est là le drame de The Kechibi Code, car cet ouvrage avait tout pour réussir cet exploit et, malheureusement, il s’effondre à quelques mètres de la ligne d’arrivée (car, oui, le plus dur était fait, et même bien fait).

Attention, tout ceci ne veut pas dire que The Kechibi Code est un mauvais supplément de Shadowrun. Loin de là ! Celui-ci est une suite logique de Noir Total et Réalité à la dérive : il continue l’histoire tout en enrichissant le Sixième Monde et offre une lecture sympathique. Non, ce supplément n’est pas un échec, mais une réelle opportunité manquée d’en faire un bijou de la sixième édition. Sa lecture reste passionnante et excitante, spécialement pour les nouveaux arrivants dans l’univers du jeu. L’exploitation de son contenu les obligera malheureusement à se ruer sur les pdf (heureusement toujours disponible) de Capitales des Ombres pour disposer d’une véritable description de Hong Kong et de Jungles urbaines pour nourrir leurs scénarios à Lagos. Mais c’est un moindre mal, même si c’est regrettable, car les séances qui en découleront seront certainement très sympathiques. De leur côté, les vieux briscards de Shadowrun, dont l’auteur de cette critique fait partie, eux, resteront un peu frustrés, avec une sensation irritante de « ça aurait pu être tellement mieux et la prémisse était si parfaite pour ça  »…

Kechibi

3 réflexions sur “The Kechibi Code – Bonne surprise ou opportunité manquée ?

  • 1 février 2022 à 23 h 36 min
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    Merci pour cette critique argumentée. Elle me semble valable pour tout ce que fait CGL : ça part de bonnes idées et intentions mais le résultat est toujours décevant.

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  • 2 février 2022 à 10 h 42 min
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    Merci pour cette présentation, on ne peut qu’espérer que cette ouvrage soit amélioré en VF comme à l’habitude.

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  • 2 février 2022 à 12 h 12 min
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    Merci pour ce retour.
    Si je peux me permettre, l’article semble un peu à charge (liste de – , critique généralement négative, etc) et pourtant on finit sur un « c’est pas un mauvais bouquin ». Du coup je suis un peu perdu après la lecture.

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